[Avec Pongo à la Brasserie Georges...]

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localisation Bibliothèque municipale de Lyon / P0759 FIGRPT0142A 02
technique 1 photographie positive : tirage noir et blanc ; 15 x 20 cm (épr.)
description Adresse de prise de vue : Brasserie Georges, 30, cours de Verdun-Perrache, Lyon 2e.
historique Milieu d'après-midi. Le vide, un espace démesuré, clair et calme. Et ces banquettes, innombrables, qui semblent mortes tant elles paraissent inutiles. Milieu de soirée. Du monde, du bruit, de la fumée, des serveurs qui ont appuyé sur la touche "accéléré". Et ces banquettes que l'on devine, dont on aperçoit seulement les dossiers de skaï rouge. La Brasserie Georges vit à son rythme, comme depuis sa création voilà cent cinquante ans. Le pouls d'une société au royaume de la bière et de la choucroute. Quand il fait chaud au corps parce que les entrailles ont été nourries de houblon, le monde peut être refait, remodelé, à l'image de cette gigantesque salle que l'on peut trouver vide ou surchargée. Un lieu si grand, trente-cinq mètres sur dix-neuf sans pilier porteur, ne cisèle son âme qu'avec ses occupants. Et la nature ayant horreur du vide, il faut la remplir avec des hommes et des femmes, avec des paroles et des cris. Une histoire vieille de 150 ans, qui sera dignement fêtée le 21 novembre 1986. Brasserie Georges, comme Georges Hoffher, Alsacien bon teint, brasseur de bière et Lyonnais d'adoption. Dans sa brasserie, qu'il a rêvée avant de la construire, il écoule sa bière en imposant à ces sudistes les coutumes culinaires qui s'y associent de plein droit gustatif. Va pour la bière Georges en 1836, va pour tout ce qui l'accompagne ; jusqu'à ce quartier qui vient de vaincre les marécages ancestraux. Foin de misérabilisme, c'est la fuite en avant vers l'histoire, avec des rendez-vous signés Lamartine ou le "Censeur", "Le Courrier de Lyon" ou "La Gazette". On s'y côtoie pour discuter, pour blanchir de mousse sa moustache, la pipe ou le cigare accroché aux lèvres. Moments si exquis que les machines vont bientôt y paraitre désuètes. Les fidèles, toujours plus nombreux, et les diligences gagnent alors la place qu'ils désirent, le centre d'échanges dont ils avaient besoin. On est alors bien loin du complexe de Perrache qui a emprisonné la Brasserie Georges et ses acolytes. En 1857, l'histoire marque sa première empreinte quand Georges Hoffher passe la main à l'un de ses beaux-frères. Il s'agit toujours d'une histoire de famille puisqu'en outre l'un de ses fils va même jusqu'à ouvrir un second restaurant, rue Thomassin en 1885. Au rythme de la pression qui coule, la Brasserie Georges est le témoin de la vie qui passe. Moments heureux ou tristes y sont commentés à l'ombre d'une mousse. Avec des parenthèses obligatoires, comme en 1914 lorsque ce palais de la joie de vivre est transformé en hôpital pour les blessés de la grande guerre. Et puis, et puis, les brasseurs vont moins faire de bière à Lyon, se contentant souvent de brasser d'autres affaires. Des trente professionnels installés entre Rhône et Saône avant 1914, ils ne sont plus que six en 1938. Encore une guerre et, la Velten sera la dernière marque lyonnaise, l'ultime apparition dans ce monde fermé qui convient si bien aux Lyonnais. C'est également après la Seconde Guerre mondiale que la Brasserie Rinck prend le contrôle de l'établissement. Mais les hostilités sont passées par là, les occupants se servant ainsi des archives pour allumer le feu, il faudra attendre 1947 pour que la Brasserie Georges reprenne du service, de plus en plus de services. Les chiffres sont à la hausse, époustouflants avec par exemple ces 2.000 couverts régulièrement servis le dimanche dans les années soixante. C'est alors le monde de la nuit qui défile, provoquant de belles et serrées discussions avec le monde de la politique. Le vrai Lyonnais continue d'aller à la Brasserie Georges, à l'image d'Edouard Herriot, fidèle parmi les fidèles, qui croise ou aurait pu croiser Jacques Brel, Juliette Gréco, les Compagnons de la chanson, Luis Mariano, Léo Ferré. La Brasserie Georges accueille aussi le tour de France, ou Antoine Pinay. Jusqu'à François Truffaut qui la prend comme décor pour sa "Sirène du Mississipi" avec Catherine Deneuve et Jean-Paul Belmondo. De banquets en réunions conviviales, la famille Rinck continue de façonner des fractions de vie, des instants, des instantanés autant privés qu'historiques. Mais la roue tourne et la condition du Lyonnais moyen est à l'image de tous ses compatriotes. On sort moins, on a moins à dépenser et la Brasserie Georges ne désemplit plus comme auparavant. Sans compter que le centre d'échanges de Perrache va l'emprisonner dans un ghetto de béton, dont elle tente de sortir par tous les moyens depuis dix ans. Dix petites années qui conditionnent l'avenir d'un établissement vieux de 150 ans, ou foisonnent les éléments art déco auprès de mobiliers sans âge. Tout y reste gigantesque, des cinq lustres au fronton ou s'inscrit la devise de la maison : "Bonne bière et bonne chère depuis 1836". Sans oublier, en fond de salle, le néon à la gloire de la bière Rinck. Car c'est toujours un Rinck, Jean-Pierre, 31 ans, qui est à la tête de ce "monument historique". Source : Brasserie de se voir si belle dans les grands miroirs" / Laurent Perzo in Lyon Figaro, 31 octobre 1986, p.48.
note à l'exemplaire Photographie attribuée à Jean-Marie Huron.
note bibliographique Lyon Figaro, 22 novembre 1986, p.60.

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